Razieh Ardali - Immunité entraînée

Tirer parti de l’immunité entraînée pour renforcer la résistance des porcelets aux infections précoces 

Notre corps dispose de deux moyens de défense coordonnés qui nous protègent contre les agents pathogènes. Pendant longtemps, on a pensé que seule la partie adaptative du système immunitaire était capable de mémoriser l’exposition à un agent pathogène et d’induire une réponse plus forte lors d’une nouvelle rencontre avec cet agent. Toutefois, plusieurs séries d’études in vitro et in vivo ont récemment démontré que les cellules de l’immunité innée sont également capables de développer une mémoire en réponse à certains motifs moléculaires associés à des agents pathogènes (PAMP) ou à des dommages (DAMP). Par un processus mécanique, une exposition passagère des cellules de l’immunité innée (par ex. macrophages, cellules NK, cellules dendritiques) à certains PAMP et DAMP entraîne une modification à long terme du paysage épigénétique et métabolique des cellules. Ces modifications altèrent la façon dont les cellules de l’immunité innée répondent plus tard face à des stimuli identiques ou différents. Ces cellules peuvent réagir de deux manières opposées : soit elles s’entraînent, ce qui se caractérise par un état d’hyperréactivité, soit elles se montrent tolérantes et se placent alors dans un état d’hyporéactivité.

Ce qui est intéressant avec la mémoire immunitaire innée, c’est qu’elle agit de manière non spécifique. C’est très prometteur pour la prophylaxie et la lutte contre un large éventail de maladies infectieuses, en particulier au début de la vie, lorsque les animaux sont exposés à un risque élevé et qu’ils dépendent davantage de leur système immunitaire inné.

 

Interview avec Dr. Razieh Ardali

portrait Razi

Quel était l’objectif de votre thèse ?

Ma thèse avait pour objectif principal de transposer le concept d’immunité entraînée au modèle porcin.

Pour ce faire, nous avons d’abord recherché, in vitro, des ligands candidats ayant le potentiel de déclencher la mémoire immunitaire innée des monocytes de porc. Pour mieux comprendre les mécanismes cellulaires et moléculaires qui sous-tendent la mémoire immunitaire innée, nous avons utilisé un séquençage de l’ARN au cours du temps et un test de chromatine accessible à la transposase avec séquençage (ATAC-Seq). Grâce à ces méthodes, nous avons évalué, à long terme, la signature épigénétique et transcriptomique des cellules entraînées.

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Vue d’ensemble du concept d’immunité entraînée : L’exposition des cellules innées à certains PAMP et DAMP modifie le paysage épigénétique et métabolique des cellules. Certaines de ces modifications persistent même après l’élimination des stimuli et placent les cellules dans un état prêt à l’emploi. Par conséquent, lors de la deuxième exposition au même stimulus ou à un stimulus différent, la réponse des cellules est plus virulente.

Quels sont les principaux résultats de votre thèse ?

En utilisant plusieurs approches expérimentales, nous avons montré qu’un ligand NOD2* appelé muramyldipeptide (MDP) pourrait être un candidat de premier ordre pour induire une immunité entraînée dans les monocytes de porc. Nous avons aussi mis en évidence que, comme pour les monocytes humains et murins, le lipopolysaccharide (LPS), un ligand TLR4*, induit une forte tolérance, ce qui constitue une autre forme de mémoire immunitaire innée. De plus, nous avons étudié les effets immunomodulateurs de l’acide tout trans-rétinoïque et son impact sur les effets d’entraînement du MDP ou les effets tolérogènes du LPS.

En quoi vos résultats vont-ils contribuer à faire avancer la recherche ?

La mémoire immunitaire innée est un domaine de recherche relativement récent. Les mécanismes moléculaires exacts qui induisent une immunité entraînée doivent encore faire l’objet d’enquêtes systémiques supplémentaires. L’étude des mécanismes moléculaires qui sous-tendent la mémoire immunitaire innée peut élargir notre compréhension de la pathogenèse de certaines maladies inflammatoires chroniques et nous permettre de découvrir des cibles thérapeutiques. Ce domaine de recherche est prometteur pour moduler des vaccins et améliorer leur efficacité dans la lutte contre les agents infectieux. Cela revêt aussi d’une grande importance au vu de la progression rapide du changement climatique et de l’émergence de micro-organismes résistants aux microbicides.

Qu’avez-vous particulièrement apprécié au cours de votre thèse ?

J’ai la sensation que chaque étape de mon PhD m’a fait avancer. Sur le plan social, j’ai adoré déménager dans un endroit totalement nouveau, imprégné d’une culture différente, rencontrer des personnes d’horizons divers, apprendre à communiquer et à me faire de nouveaux amis. Petit à petit, je me suis créé une deuxième famille dans une autre partie du monde.

Sur le plan professionnel, j’ai appris à concevoir des expériences de façon logique, à assembler les pièces du puzzle et à en tirer des conclusions pour construire un récit cohérent. J’ai appris que même si l’on se retrouve bloqué, il faut persévérer, faire preuve de patience et essayer à nouveau. Cela portera ses fruits et, en fin de compte, on est surpris de constater que c’est souvent de ces moments difficiles que l’on tire les leçons les plus utiles.

Quels sont vos prochains projets, qu’allez-vous faire ?

Plusieurs questions soulevées dans le cadre de ma thèse restent encore sans réponse. Il est donc prévu de poursuivre les recherches : c’est Jana Mitrovic, la nouvelle doctorante du groupe du professeur Artur Summerfield, qui reprend le flambeau. L’objectif principal sera de tester in vivo le potentiel d’entraînement de nos ligands candidats testés in vitro, et de voir comment cela affecte la réponse des porcelets à la vaccination ou aux agents infectieux. De plus, nous aimerions approfondir nos connaissances des mécanismes cellulaires et moléculaires de l’immunité entraînée en développant des modèles porcins et murins.

Pour ma part, je vais me lancer dans un nouveau projet dans le groupe du professeur Charaf Benarafa : je vais me pencher sur l’interaction entre le microbiome, le système immunitaire et le virus de la peste porcine africaine (PPA).

 

*NOD2 : récepteur de reconnaissance des agents pathogènes cytosolique (PRR) qui détecte la présence de certains composants bactériens, comme le MDP, produit par les parois des cellules bactériennes.

*TLR4 ou récepteur de type Toll 4 : PRR de la membrane plasmique qui reconnaît les PAMP et induit une réponse, comme le LPS.

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Dernière modification 21.08.2024

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